Les Yoga Sūtras de Patañjali, texte fondateur du yoga classique, ont été compilés il y a environ deux mille ans (entre le IIᵉ avant et le IVᵉ siècle apr. J.C.). Attribués au sage Patañjali*, ces écrits se présentent sous la forme de 196 aphorismes (sūtras), organisés en quatre chapitres (pādas) :

  1. Samādhi Pāda (la contemplation)
  2. Sādhana Pāda (la pratique)
  3. Vibhūti Pāda (les pouvoirs)
  4. Kaivalya Pāda (la libération)

Parmi ces sūtras, certains sont considérés comme essentiels, car ils exposent les principes fondamentaux, les objectifs, les méthodes et les étapes progressives du yoga. Leur concision et leur profondeur en font des guides intemporels pour la compréhension et la pratique du yoga, tant sur le plan philosophique que technique. Ci-dessous figure une sélection des sūtras les plus marquants, classés par thème et par chapitre, accompagnés de leur signification clé.

Définition et Objectif du Yoga

YS I.2 – « Yogaś-citta-vṛtti-nirodhaḥ » 
Traduction : « Le yoga est l’arrêt des fluctuations du mental. » 
C’est la définition centrale du yoga selon Patañjali. Le but est de calmer les agitations de l’esprit pour accéder à la clarté et à la libération.

YS I.3 – « Tadā draṣṭuḥ svarūpe’vasthānam » 
Traduction : « Alors, le voyant (la conscience) repose dans sa véritable nature. »
Ce sūtra explique le résultat de la pratique : lorsque les fluctuations cessent, la conscience pure (purusha) se révèle.

Les Obstacles et les Fluctuations du Mental

YS I.5 – « Vṛttayaḥ pañcatayyaḥ kliṣṭākliṣṭāḥ »
Traduction : « Les fluctuations du mental sont de cinq types, douloureuses ou non douloureuses. »

YS I.6 – « Pramāṇa-viparyaya-vikalpa-nidrā-smṛtayaḥ » 
Traduction : « Elles sont : la connaissance juste, l’illusion, l’imagination, le sommeil et la mémoire. »
Ces sūtras identifient les cinq types de pensées qui perturbent l’esprit et que le yoga cherche à maîtriser.

YS I.30-32 (Les Obstacles) – « Vyādhi-styāna-saṃśaya-pramāda-ālasy-avirati-bhrānti-darśanālabdha-bhūmikatvānavasthitatvāni citta-vikṣepāḥ te antarāyāḥ » 
Traduction : « Les obstacles sont : la maladie, l’apathie, le doute, la négligence, la paresse, le manque de retenue, l’illusion, l’incapacité à atteindre un stade et l’instabilité. » 
Ces obstacles (antarāyāḥ) sont des défis courants dans la pratique du yoga. Les reconnaître permet de mieux les surmonter.

Les Moyens pour Atteindre le Yoga

YS I.12-16 (Abhyāsa et Vairāgya) – « Abhyāsa-vairāgyābhyāṃ tan-nirodhaḥ » 
Traduction : « La maîtrise des fluctuations du mental s’obtient par la pratique (abhyāsa) et le détachement (vairāgya). » 
Ces deux piliers :  la pratique assidue et le lâcher-prise sont essentiels pour progresser.

YS II.1 (Kriyā Yoga) – « Tapaḥ-svādhyāyeśvara-praṇidhānāni kriyā-yogaḥ » 
Traduction : « Le yoga de l’action (kriyā yoga) comprend l’austérité (tapas), l’étude de soi (svādhyāya) et la dévotion à une réalité supérieure (īśvara-praṇidhāna). » 
Ces trois pratiques purifient le mental et préparent à la méditation.

YS II.29 (Les Huit Membres du Yoga) – « Yama-niyamāsana-prāṇāyāma-pratyāhāra-dhāraṇā-dhyāna-samādhayo’ṣṭāvaṅgāni » 
Traduction : « Les huit membres du yoga sont : les restrictions morales (yama), les observances (niyama), les postures (āsana), le contrôle du souffle (prāṇāyāma), le retrait des sens (pratyāhāra), la concentration (dhāraṇā), la méditation (dhyāna) et l’absorption (samādhi). » 
Ce sūtra présente le chemin progressif du yoga, connu sous le nom d’Aṣṭāṅga Yoga (yoga en huit étapes).

La Libération (Kaivalya)

YS IV.34 – « Puruṣārtha-śūnyānāṃ guṇānāṃ pratiprasavaḥ kaivalyaṃ svarūpa-pratiṣṭhā vā citi-śaktir iti » 
Traduction : « La libération (kaivalya) est l’état où les qualités de la nature (guṇas) retournent à leur source, et où la conscience pure (citi-śakti) repose dans sa véritable nature. » 
C’est la finalité du yoga : la réalisation de la conscience pure, libérée des illusions et des conditionnements.

Autres Sūtras Clés

YS II.46 (Stabilité et Aisance dans la Posture) – « Sthira-sukham-āsanam » 
Traduction : « La posture doit être stable (sthira) et confortable (sukha). » Pourquoi c’est important : Fondement de la pratique physique du yoga.

YS II.48 (Maîtrise du Souffle) – « Tato dvandvānabhighātaḥ » 
Traduction : « Alors, on devient insensible aux paires d’opposés (comme le chaud/froid, le plaisir/douleur). » 
Le contrôle du souffle (prāṇāyāma) permet de transcender les dualités.

YS III.3 (Samyama et les Pouvoirs) – « Samādhi-prayojanaḥ samyamaḥ » 
Traduction : « Le samyama (concentration, méditation et absorption combinées) est le moyen d’atteindre le samādhi. »
Le samyama est une technique avancée pour développer la maîtrise de l’esprit et accéder à des états supérieurs de conscience

Pour Résumer, les sūtras les plus importants sont ceux qui :

  1. Définissent le yoga (I.2, I.3).
  2. Identifient les obstacles (I.5-6, I.30-32).
  3. Proposent des méthodes (I.12-16, II.1, II.29).
  4. Décrivent la libération (IV.34).
  • Les incertitudes entourant la datation exacte des Yoga Sūtras de Patañjali (généralement situés entre 200 av. J.-C. et 400 apr. J.-C.) s’expliquent par plusieurs facteurs historiques, philologiques et contextuels. Voici les principales raisons :

Absence de Manuscrits Originaux

  • Transmission orale : Pendant des siècles, les textes sacrés indiens, dont les Yoga Sūtras, ont été transmis oralement avant d’être consignés par écrit. Les premières versions écrites datent de bien plus tard que la composition originale.
  • Manuscrits les plus anciens : Les plus vieux manuscrits disponibles (en écriture Devanāgarī ou sur feuilles de palmier) remontent au IXᵉ ou Xᵉ siècle apr. J.-C., soit près de mille ans après la rédaction présumée. Ces copies contiennent des variantes, ce qui complique la datation précise.

Contexte Historique et Culturel Flou

  • Période de compilation : Les Yoga Sūtras sont le fruit d’une synthèse de traditions yogiques bien plus anciennes (mentionnées dans les Upanishads, la Bhagavad Gîtâ, ou les textes bouddhistes). Patañjali a probablement codifiédes connaissances préexistantes, ce qui rend difficile la distinction entre l’auteur et les sources antérieures.
  • Époque trouble : La période entre 200 av. J.-C. et 400 apr. J.-C. en Inde est marquée par des invasions (Grèce, Kushans, Guptas), des échanges culturels intenses, et un syncrétisme religieux. Ces bouleversements rendent ardue l’attribution précise d’un texte à une époque ou à un auteur unique.

Attribution et authenticité

  • Patañjali, un nom générique ? : Le nom « Patañjali » pourrait désigner plusieurs auteurs ou un pseudonyme utilisé par une école. Certains chercheurs suggèrent qu’il s’agit d’un compilateur plutôt que d’un auteur original.
  • Références croisées : Les Yoga Sūtras citent des concepts présents dans d’autres textes (comme le Sāṃkhya, une philosophie dualiste indienne), mais sans permettre de dater avec certitude leur rédaction. Par exemple, le Mahābhārata (qui inclut la Bhagavad Gîtâ) mentionne des pratiques yogiques, mais sa datation elle-même est débattue.

Imprécisions

  • Analyse linguistique : Le sanskrit des Yoga Sūtras est classique (plus proche du sanskrit épique que védique), ce qui suggère une période post-védique, mais cette méthode ne permet pas une datation fine.
  • Comparaison avec d’autres textes : Les références aux Yoga Sūtras dans des commentaires ultérieurs (comme ceux de Vyāsa, vers le Vᵉ siècle) aident à établir une fourchette, mais pas une date exacte.
  • Archéologie limitée : Peu d’artefacts ou d’inscriptions de l’époque mentionnent explicitement les Yoga Sūtras, contrairement à d’autres textes comme les Vedas.

Débats et hypothèses

  • Théorie de la datation précoce (avant notre ère) : Certains chercheurs, comme Gerald James Larson, plaident pour une rédaction vers 200 av. J.-C., en s’appuyant sur des similitudes avec des textes bouddhistes anciens.
  • Théorie de la datation tardive (après le IIIᵉ siècle) : D’autres, comme Wendy Doniger, suggèrent une période plus tardive (IVᵉ ou Vᵉ siècle), en raison de l’influence du Vedānta et du Sāṃkhya déjà établis.
  • Consensus actuel : La plupart des indianistes s’accordent sur une période large (200 av. J.-C. – 400 apr. J.-C.), sans trancher définitivement.

Influence des Commentaires Ultérieur

  • Les premiers commentaires écrits sur les Yoga Sūtras (comme le Yoga Bhāṣya attribué à Vyāsa) datent du Vᵉ ou VIᵉ siècle. Ces textes interprètent et parfois modifient le sens original, ajoutant une couche de complexité à la datation.

En Résumé

Facteur d’IncertitudeExplication
Transmission oralePas de manuscrit original avant le IXᵉ siècle.
Contexte historique mouvantPériode d’invasions et de syncrétisme en Inde.
Attribution floue« Patañjali » pourrait être un nom générique ou un compilateur.
Méthodes de datation imprécisesLinguistique, comparaisons textuelles et archéologie insuffisantes.
Débats académiquesHypothèses variant du IIᵉ siècle av. J.-C. au Vᵉ siècle apr. J.-C.
Commentaires tardifsLes premiers exégètes (comme Vyāsa) écrivent des siècles après la rédaction.

Pourquoi cette incertitude persiste-t-elle ? La datation des textes anciens indiens repose souvent sur des recoupements indirects (linguistiques, philosophiques, archéologiques) plutôt que sur des preuves matérielles directes. Sans découverte majeure (comme un manuscrit daté avec certitude), le débat restera ouvert.